sur la terrasse Lautréamont

Le promeneur ressent le besoin de perdre son temps pour se distraire des calculs qui encombrent son cerveau et pour se remettre à rêver. Longeant la terrasse Lautréamont (qui n’existe plus), il regarde les pigeons s’abreuver aux colonnes brûlantes. À cette hauteur et par ce temps on aperçoit l’église St Eustache. À la base du clocher, il imagine un ange de brique et d’acier qui se tire une balle dans le pied. Chaque jour, sur le coup de treize heures trente, se déverse du Conservatoire une troupe de jeunes musiciennes chantantes et riantes. C’est pour ça qu’il est là. En attendant de les voir apparaître, le promeneur observe dans le ciel les ballons stratosphériques percer les nuages. C’est beau ici, se dit-il, l’église St Eustache, l’Opéra Garnier, la Madeleine, l’Obélisque au loin. Le promeneur divague dans le ciel de Paris jusqu’à la sortie des jeunes musiciennes. Débarrassé pour un temps des mensonges spectaculaires, il quitte la plateforme, la tête et les yeux nettoyés.

Le soir venu, il traîne aux abords des grands boulevards. Par quel chemin surréel est-il arrivé jusqu’ici ? Impossible de le dire. Il regarde les dernières taches de soleil disparaître sur la façade du Grand Rex. Puis il se décide à entrer dans un bar qui « joue la carte du café-littéraire en toute décontraction » a-t-il lu sur l’Iphone, « La grande baie vitrée donne une impression de liberté ». Eh oui, la liberté… Un an et demi de liberté évaporée, consumée. Le promeneur est on ne peut plus lucide sur l’univers de merde qui l’attend. Se couper les ailes et puis sourire, et puis ramper, traîner dans la boue. Répondre à leurs questions comme un automate, mimer l’enthousiasme, faire preuve d’une cordialité désuète, comme si tout allait de soi. Recracher tout ce qu’on lui a inculqué dans sa petite tête de con. En attendant, seul dans son coin, il absorbe la dose d’oubli nécessaire à l’invention d’apéritifs saturniens. À travers les panneaux de verre du bar, il voit des plombiers féroces besogner de jeunes elfes. Sûr qu’il a mangé des drogues depuis le début du jour, et pas qu’un peu. Ces temps-ci il mange des drogues pour chasser l’ennui et retrouver le grand calme des mosquées almohades qu’il aimait visiter avec elle. Il ne sait pas encore que les heures vides préparent celles d’intense création. Le réservoir se remplit de lui-même. Les concentrés de codéine qu’il se concocte matin et soir lui permettent d’être perché très haut de jour comme de nuit. Chaque détail est vécu avec intensité.