Il n’y croit plus, Simon. Il décline à vue d’œil. Son regard autrefois pénétrant s’est éteint. « Notre vie avance plus lentement que jamais. » me dit-il avec un étrange désespoir que je ne lui connaissais pas. « Qu’est-ce qu’on a à raconter ?… On vieillit et il nous arrive rien, ou pas grand-chose. On n’est que des figurants. Parce qu’on s’en est toujours pas sortis, on vit toujours pas comme on le devrait. C’est normal, on n’a jamais rien fait pour s’en sortir… À force d’attendre notre heure, la vie nous a filé sous les yeux. Notre parcours c’est une suite d’échecs… S’agit bien d’une défaite, oui une défaite sur toute la ligne… ». Je hasarde une phrase : « C’est sûr qu’il se passe pas grand-chose… » Il poursuit comme s’il se parlait à lui-même : « Ah, tout ça est tellement étriqué ! Le grand air, l’air pur, tout ce qu’on s’était promis, on le connaît toujours pas et j’arrive plus à croire qu’on le connaîtra un jour. Tu te souviens quand on avait vingt ans ? On était plein d’espoir… mais la chasse aux trouvailles a tourné court. Sûrement qu’on n’a pas été assez attentifs, on n’a pas pris soin des pépites qu’on avait trouvées… Et maintenant on n’a plus confiance en nous. On croit plus qu’on pourra faire de nos vies quelque chose de plus élevé, de plus lumineux. On a fini par s’habituer à notre condition de salarié anonyme et interchangeable. Et on va ramper comme ça jusqu’à la vieillesse… Évidemment c’est banal, c’est triste et banal ce que je dis, mais c’est le fond du problème. C’est l’histoire de notre petite tragédie, notre tragédie toute gentille : on vieillit et il se passe rien… »