Comme si quelqu’un d’autre parlait en toi

Quatre heures du matin, tu as mal au crâne. Quelqu’un grince des dents à l’intérieur. C’est l’autre qui grince des dents, l’autre voix, celle du dedans. Ça fait longtemps que tu abrites un enfant solitaire, un enfant égoïste et dominateur qui laisse éclater sa joie et sa colère sans crier gare. L’être nocturne qui t’habite est aussi amoral qu’un enfant, aussi cynique qu’un vieillard. Tu n’as pas réussi à te libérer de lui, pas réussi à le faire mourir sur les chemins tordus de Mauritanie, malgré cette marche forcée dans l’Adrar. Car c’est aussi pour te débarrasser de lui que tu es parti là-bas. Mais le très vieil enfant semble indélogeable. Peut-être en fait que c’est lui qui a pris toutes les grandes décisions de ton existence. Tu t’es déjà posé la question.

Rien ne t’oblige à sourire à tous ces cons, te murmure cette nuit le très vieil enfant, rien ne t’oblige à ramper. Tu ne veux donc plus vivre, mon garçon ? Laisse ta colère verser ses larmes. Retrouve la pulsion de vie. Flambe, Léo, flambe ! Retrouve l’ardeur, la colère d’autrefois. Tu te souviens ? Y a pas si longtemps tu parlais de te jeter dans l’océan primitif. Tu voulais ressusciter le monstre marin de quand t’étais gosse. Allez, qu’est-ce que tu as à craindre de toute façon ? Tu es déjà mort.

Peut-être que tu t’inventes un ennemi pour penser contre toi-même, un ennemi à combattre et à surmonter. Cette nuit tu te lèves d’un bond pour écrire les premières phrases qui te viennent : Ennemi intérieur. Me fabriquera de l’intranquillité. Me donnera un coup de pied au cul quand je m’assoupirai. Me permettra d’avancer plus loin sur la route sinueuse qui ne mène nulle part. Peut-être aussi que tu te l’inventes pour te prouver que tu es rusé, courageux, fidèle à tes opinions, plus résistant que les autres, que sais-je… L’autre t’incitera surtout à continuer, car le plus difficile est bien de continuer. Continuer à désirer ce qu’on a, continuer à explorer les zones d’ombre sans craindre les fausses routes. Tu sais bien que le plus grand danger est la lassitude. Alors cette nuit tu t’accroches à l’idée que ce bon vieil ennemi te forcera à aller au bout de toi-même.

tu voulais écrire en musique

Ravi de participer une nouvelle fois à cette belle aventure des vases communicants où chaque mois on découvre des mondes dans des mondes.

C’est justement grâce à une précédente édition que j’ai découvert Chez Jeanne et son babelibellus aux tiroirs bien remplis.

Pour démarrer l’année en beauté, on échange sur les livres, la musique et l’écriture. Très heureux donc d’être accueilli chez elle pour mon Proust big fun.
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tu voulais écrire en musique. tu écris toujours en musique. à fond dans les oreilles. pour étouffer le bruit du monde. tu voulais..
mais le bruit du monde s’est fait par dessus les sons. pas un ne convenait pour éteindre bruit, fureur et tout ce que ça impliquait.
quelle musique, quelle mélodie, que mettre sur ce jour-là qui ne méritait pas d’être venu jusqu’à toi ? que poser de soi pour qu’un son devienne espace ? où trouverais-tu ce moment entraînant, exigeant et sûr de soi pour écrire à nouveau sans silence ?
ça ne viendrait. ça ne s’arrangerait pas à l’aube revenue. tu ne pouvais plus entendre. tu ne voulais plus être avec ces colères et rages qui t’envoient ad patres la gueule enfarinée.
tu voulais écrire en musique. tu le fais toujours. tu trouves un son, une.. mélodie, une.. histoire, des.. pleurs et tu cours sur la page tu écris.
tu voulais et c’est aujourd’hui différent. tu veux imposer le silence au monde. tu ne veux plus rien entendre que les mauvaises nouvelles qui inlassablement viennent et ne t’étonnent plus. tu as perdu ça sans le rythme des souls pleurants et des rages. tu as serré les poings, les dents et tu n’as pas trouvé l’écume de ce qui sourd en toi.
d’une musique écrire mais sans..
il n’y avait pas cette saveur particulière d’un souvenir d’écrit, pas cette bande son qui imageait ce qui venait au creux de tes mains.
tu voulais et ne pouvais plus.
écrire en musique imposait son rythme qui n’était plus le tien.

Texte : Chez Jeanne

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Liste des vases communicants en janvier 2014 , un grand merci à Brigitte Célérier pour l’animation et la lecture attentionnée des textes échangés.