l’apogée de notre histoire

Ce soir-là, dans le Mauri7, un café qui ne paye pas de mine à l’entrée du passage Brady, après la représentation de La chambre bleue au théâtre Antoine, Chloé me parle, de sa voix douce et légère, de courses aux bénéfices, de haine de la poésie, de l’imaginaire, de l’asservissement mental des masses et autres joyeusetés. Je l’écoute à peine. Elle marque une pause. « Tu t’en fous ? Tu trouves que c’est simpliste ? ». Je ne réponds rien. Un long silence s’installe. Elle a son petit sourire en coin qui m’enchante. La lumière du soir filtrée par la verrière du passage éclabousse son visage. La fumée dans ses cheveux et la lumière dorée lui font comme une auréole. Je la regarde avec attention et je me dis que sa tendresse et sa fragilité ont coupé ma vie en deux. En balayant la table de sa main, elle prononce alors cette phrase qui s’est ancrée dans ma mémoire : «  J’aimerais tant chasser tous ces mangeurs de rêve, tous ces types qui nous bouffent nos rêves et notre volonté… Oui, faut qu’on résiste à tout ça, David… ». Il y a une rage contenue dans sa voix. C’est à ce moment-là que je l’ai embrassée comme un fou. Sa bouche comme un soleil, l’émotion dans sa voix, son parfum d’été… j’en ai renversé mon verre. Je l’ai regardé. Ses yeux étaient humides. Son visage rayonnait de douceur. Cette soirée dans ce bar assez minable est pour moi l’apogée de notre histoire.

Cette nuit-là, je l’ai senti fondre dans mes bras. Doucement j’ai caressé sa nuque. Comment un corps aussi menu fait-il pour libérer autant de chaleur ? me suis-je bêtement demandé. Je l’ai serré très fort contre moi en m’endormant. Je sais que c’est stupide, mais je ne peux m’empêcher de penser que son énergie bouillonnante, sa volonté farouche, sa volonté de vouloir qui toujours me subjugue, je les ai conquises de haute lutte (oui, toujours cet instinct balourd de conquête que j’ai). Car elle veut la vie, Chloé. Elle est avide de vie. Son corps, sa peau, ses gestes tiennent la mort à distance. À ses côtés, je n’angoisse plus. Elle m’a guéri de ma mélancolie chronique.