dans la glace

La salle de bain se regarde dans le miroir, tu ne peux pas la laisser seule. Quelque chose te pousse à regarder le désastre en face. Tu as glissé une photo de tes trente ans sur le bord du miroir pour surprendre le cheminement souterrain de la mort. Tu  vas t’assassiner une fois de plus à t’observer et à te comparer comme ça. Tu ferais mieux de sentir, palper les choses qui t’entourent, mais non, il faut encore que tu te confrontes à cette vision que tu ne parviens pas à accepter. Tu entres dans la salle de bain, tu fermes les yeux pour repousser de quelques secondes le moment de vérité, tu écoutes ta respiration avant d’affronter ce visage que tu as de plus en plus de mal à reconnaître. Puis les yeux tu les ouvres grand et voilà, dans la salle de bain ton cancer piégé par cette saloperie de miroir qui te renvoie avec une terrifiante exactitude cette image d’homme condamné. A cette seconde tu te vois tel que tu es vraiment. Un sursitaire. La mort, tu la portes sur ton visage dévoré. Elle est industrieuse et prospère, pas vrai ? Jamais elle ne relâche son étreinte. L’état de tes intestins se lit dans ton regard. Ta santé défaillante t’apporte des visions inédites. Les organes pourrissants deviennent comme des visages, des visages de femmes effrayantes et des visages de brigands. Tu ne peux pas t’empêcher de penser à Dorian Gray. Ton crime tu le vois une nouvelle fois dans la glace. Tu te regardes droit dans les yeux et ça ne fait pas un pli, tu es un sale type assez horrible à regarder. Pourtant, une fois la porte de la salle de bain refermée, tu ne te sens pas si mal que ça. L’imbécile heureux qui est en toi cherche et trouve des distractions à sa détresse. Il continue à vivre presque comme si de rien n’était.