Paris 1991

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Arrivée à Paris en 1991 pour les études. J’habite dans le 18ème, rue Marcadet. Que cette ville est belle quand on a 18 ans… Je prends conscience à quel point je suis jeune et à quel point il faut que j’en profite. Après avoir surmonté adolescent les années 80, je découvre enfin la liberté. Barbès, Barracuda, Maracaibo, écrasés de soleil. On doit être début juillet. Il y a des robes de mariées à têtes de paraboles au coin de la rue. Je prends possession du territoire avec ardeur. Ici est mon royaume, me dis-je. Paris est un vaste terrain de jeu quand on est étudiant. La ville a la majestueuse indifférence des dieux. On peut y vivre presque sans entrave. Je ne suis personne et je n’ai plus peur de rien. Je passe mes week-ends et une partie de la semaine à faire ce que j’aime le mieux au monde : marcher au hasard dans la rue. Ce sont des jours d’infinie gratitude. Je me balade sans raison du matin au soir. À chaque sortie, le macadam me réserve de nouvelles joies, comme me retrouver à minuit au milieu de la place des Vosges, parfaitement seul au cœur du paradis. Durant la semaine je respire à plein poumon l’air délicieusement tiédasse de la ligne 4. Au fond de moi des visions de commencements d’univers. « Mesdames et Messieurs, pour voyager en toute sécurité, soyez désinvoltes, n’ayez l’air de rien. La Compagnie s’excuse de la haine occasionnée et vous souhaite un bon voyage ! » Correspondance ligne 12 / ligne 2, station Pigalle, direction Porte Dauphine. J’observe les grandes tâches de moisissure qui rongent le plafond. À une dizaine de mètres, il y a une vingtaine de marches à gravir. Après la volée de marches, le tunnel tourne à angle droit sur la droite et on arrive au quai. J’entends le bruit de la rame. Grâce à ma connaissance des lieux, je sais immédiatement si la rame s’approche ou si elle s’éloigne. Cinq ans de ma vie à parcourir cet espace de termitière. Maintenant encore mon rythme cardiaque s’accélère dès que j’entends cette rame de métro.

Photo : Girfs, Paris

Pour cause d’indifférence générale

Ce matin, dans la rame de métro, quelqu’un a glissé à la place des habituelles pubs pour magazines télé une affichette blanche sur laquelle est écrit : “ Pour cause d’indifférence générale, demain est annulé. ” Comme chaque jour, tous les passagers de la rame ont la même expression d’accablement sur le visage. Je commence à les imaginer en costume Renaissance et soudain le miracle se produit : tous seigneurs et ecclésiastes, ils sortent d’un tableau du Greco. C’est l’Enterrement du comte d’Orgaz porte de Bagnolet. Leur tristesse revêt alors une dignité et une distinction inédite.